Vers une Révolution Éthique !
Pour approfondir la question et en appui de ce qu’expose le Dr Laurence Vanin, vous trouverez ci-dessous des textes qui vous permettront de mieux appréhender le sujet.
Il s’agit, maintenant de penser une certaine dimension éthique[1] propre au dessein politique. Non plus simplement comme la mise en œuvre d’une morale sociale mais, véritablement, une éthique construite dans le sens, par exemple, des écrits de Robert Musil[2] à partir de la réalisation authentique de soi dans une ontologie. En définitive, si nous contemplons l’homme dans son évolution, dans son histoire, nous pouvons remarquer qu’il est passé, selon nous, par quatre révolutions qui ponctuent sa longue marche régressive vers le règne de l’ego : la présence primitive, l’étape subjective, la révolution de l’altérité, la mutation inauthentique relative à la puissance de la technique.
[1] Badiou dans son ouvrage L’éthique, essai sur la conscience du mal déclare : « Éthique concerne, en grec, la recherche d’une bonne « manière d’être », ou la sagesse de l’action. À ce titre, l’éthique est une partie de la philosophie, celle qui ordonne l’existence pratique à la représentation du Bien. […] En vérité, éthique désigne aujourd’hui un principe de rapport à « ce qui se passe », une vague régulation de notre commentaire sur les situations historiques (éthique des droits de l’homme), les situations technico-scientifiques (éthique du vivant, bioéthique), les situations « sociales » (éthique de l’être-ensemble), les situations médiatiques (éthique de la communication), etc. » Éditions NOUS, Caen, 2009, Introduction p. 19.
[2] R. Musil (2000), L’homme sans qualité, Paris, T. 1 et 2., Points, Seuil.
Extrait 1
Les hommes crurent avoir réalisé la prophétie cartésienne et s’être ainsi rendu « maîtres et possesseurs de la nature » ou comme l’explique plus récemment Henry Adams :
« Les bombes sont de vigoureuses éducatrices, et même la télégraphie sans fil ou l’aviation pourrait exiger la reconstruction de la société… L’Américain nouveau – l’enfant de l’incalculable… de la puissance électrique et de l’énergie radio-active – devrait être une sorte de dieu comparé à toutes les créations antérieures de la nature.[1] »
[1] Henry ADAMS, Letters (1892-1918), Ed. Par Worthington Chauncey Ford (Cambridge, 1938) The Education of Henry Adams, p. 496.
Extrait 2
L’homme est devenu tributaire des machines et s’est vu aliéné. Spengler l’expose ainsi dans son ouvrage L’homme et la technique :
« Toutes les choses vivantes agonisent dans l’étau de l’organisation. Un monde artificiel pénètre le monde naturel et l’empoisonne. La civilisation est elle-même devenue une machine, faisant ou essayant de tout faire mécaniquement. Nous ne pouvons plus penser qu’en termes de « chevaux-vapeurs ». Nous ne pouvons regarder une cascade sans la transformer mentalement en énergie électrique.[1] »
[1] O. SPENGLER, L’homme et la technique, Paris, Gallimard, 1958, p. 144.
Extrait 3
La transmutation éthique se révèle impérative, car dans sa singularité active l’homme ne peut se dissimuler – selon Bakhtine – derrière « la métaphore du « non-alibi à l’être ». L’individu a donc le devoir d’agir et il ne peut se soustraire à ce qu’il est. Comme le précise également Badiou :
« Au lieu de le lier à des catégories abstraites (l’Homme, le Droit, l’Autre…), on le rapportera à des situations. Au lieu d’en faire une dimension de la piété pour des victimes, on en fera la maxime durable de processus singuliers. Au lieu que n’y soit en jeu que la bonne conscience conservatrice, il en ira du destin des vérités. [1] »
Sa singularité se doit de s’exprimer dans des actes qui eux-mêmes participent de l’être, le révèle.
« Ce qui peut être accompli par moi ne peut l’être par personne d’autre, jamais. La singularité de l’être présent s’impose rigoureusement.[2] »
L’homme se définit donc par ses agissements. Il demeure libre et il manifeste ce qu’il est à partir de ses choix[3] et dans ses engagements.
[1] Badiou, L’éthique, essai sur la conscience du mal, Éditions NOUS, Caen, 2009, Introduction p. 21.
[2] Loc. cit..
[3] La question du choix évoque le statut de la liberté individuelle et de ce que chacun peut en faire. Comme le dit Aristote : « L’objet du choix étant, parmi les choses en notre pouvoir, un objet de désir sur lequel on a délibéré, le choix sera un désir délibératif des choses qui dépendent de nous. » Ethique à Nicomaque, Editions Vrin, Paris, livre 3, § 5, p. 137. Dans une perspective existentialiste, cette définition est reconsidérée puisque la liberté est corrélative au choix : « Pour la réalité humaine, il n’y a pas de différence entre exister et se choisir. » L’Être et le néant. Édition Tel, Gallimard. 4ème partie, chap. 1, § 3, p. 612.
Extrait 4
« Le devoir est possible seulement là où il y a reconnaissance de l’existence d’une personne singulière de l’intérieur d’elle-même […] L’acte [postupok] responsable est l’acte [postupok] fondé dans la reconnaissance de sa singularité contraignante. [1]»
Reconnaître à l’autre des droits ne suffit pas. La transformation des valeurs appelle la métamorphose intérieure puis sociale : car historique[2]. Dans le « nous », autrui et moi agissons ensemble et nous nous reconnaissons réciproquement des qualités ou des défauts. Nous nous efforçons de bâtir des projets communs dans la tolérance, la complémentarité afin de tendre vers une humanité responsable. Comme le déclare Sartre :
« L’homme étant condamné à être libre, porte le poids du monde tout entier sur ses épaules : il est responsable du monde et de lui-même en tant que manière d’être.[3] »
[1] Bakhtine Mikhaïl « K filosofi postuka [à propos de la philosophie de l’acte] », Filosofija i sociologija nauki i tehkniki [philosophie et sociologie de la science et de la technique], annuaire, Moscou, Nauka, 1986. P. 113.
[2] À concevoir, comme le précise Gramsci comme une conception culturelle ample mais soumise au mouvement historique de la praxis. Mais aussi comme le précise François Hartog dans sa contribution intitulée Historicité/régimes d’historicité : « De Hegel à Heidegger, en passant par Dilthey et Ricoeur, le terme historicité renvoie vers une longue et lourde histoire philosophique. L’accent peut être mis, soit sur la présence de l’homme à lui-même en tant qu’histoire, soit sur sa finitude, soit sur son ouverture sur le futur (comme être-pour-la-mort chez Heidegger). Retenons, ici, qu’il exprime la forme de la condition historique, la manière dont un individu ou une collectivité « s’installe et se déploie dans le temps » (Marcel Gauchet). » Historiographies, II. Concepts et débats. Sous la direction de C. Delacroix, F. Dosse, P. Garcia, N. Offenstadt. Éditions Folio Histoire inédit. N°180. Paris, 2010. P. 767.
[3] Sartre, L’Etre et le néant, Editions Tel, Gallimard. 4ème partie chap. I. § 3, p. 612.