Descartes est-il le précurseur du transhumanisme ?
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Pour approfondir la question et en appui de ce qu’expose le Dr Laurence Vanin, vous trouverez ci-dessous des textes qui vous permettront de mieux appréhender le sujet.
René Descartes (1596-1650)
Philosophe, mathématicien et savant, Descartes est considéré comme le fondateur de la philosophie moderne. Il a instauré « la méthode » comme fondement de ses réflexions et comme moyen pour parvenir à la vérité.
Œuvres principales : Règles pour la direction de l’esprit; Discours de la méthode; Méditations métaphysiques; Principes de la philosophie; La Dioptrique; Les Passions de l’âme
Sa pensée…
Descartes est connu pour sa volonté de parvenir à la vérité. Si l’esprit s’exerce avec méthode, il peut parvenir à la vérité en se détournant des erreurs, des faussetés. Aussi Descartes invite-t-il les hommes à user de leur raison et à convenablement l’appliquer. Il leur suggère également des règles pour parvenir à la justesse des raisonnements. Il incite à éviter toute précipitation nuisible à la vérité. Puis il préconise de ne pas hésiter à suspendre son jugement afin de clarifier sa pensée. Il invite également, au cours de l’analyse, à diviser les difficultés pour les simplifier, à enchaîner les raisonnements. Enfin il recommande la réalisation de tous les dénombrements nécessaires pour ensuite parvenir à la clarté de la complétude[1], à la vérification. Ainsi s’appliquant à ces préceptes les hommes pourront-ils échapper à l’erreur et aux égarements liés à la certitude qu’incluent les préjugés.
L’enfance désigne, selon lui, cette période critique où l’esprit est influençable. Toutefois elle coïncide avec la période où l’enfant reçoit bon nombre d’enseignements qui lui permettent de façonner sa culture. Cependant, celui-ci, dans sa naïveté, ne pense pas à les mettre à l’épreuve. Par la suite, l’esprit s’éveille et l’évidence de certaines contradictions le trouble. Aussi Descartes propose-t-il de remettre en cause l’ensemble des connaissances qu’il a acquis pour parvenir au vrai. Il décide donc de faire table rase de tout ce qu’il a appris depuis son plus jeune âge pour trouver une certitude qui pourra servir de fondement au savoir.
Le doute désigne donc cette méthode particulière de remise en cause des connaissances. Celui-ci diffère complètement du doute sceptique qui invite, quant à lui, à la suspension du jugement. Le doute cartésien consiste à supposer que tout est faux. Il importe alors de parvenir à un principe à partir duquel l’esprit pourra bâtir un nouveau savoir.
Au terme du doute, Descartes accède à ce qui constituera un fondement. Ce dernier désigne l’affirmation la pensée en acte. Descartes parvient à la certitude du « cogito ergo sum », « je pense donc je suis ». Ce cogito représente la conscience, attentive, vigilante, à l’œuvre dans l’acte de penser. Il s’agit d’une intuition durant laquelle la conscience se saisit elle-même par la pensée, sans médiation, sans extériorité.
A cette vérité première s’ajoute une seconde : celle de l’existence de Dieu. En réalité, l’homme possède cette idée innée de l’existence de Dieu, Être Parfait, Omniscient, Eternel, Infini. Or si cette idée incarne autant de perfections, il semble que l’homme, dont l’entendement est limité, ne peut l’avoir obtenue par lui-même. C’est donc cet Être, absolument puissant et nécessaire qui a déposé cette idée en lui. Cette idée n’est que la forme de l’Etre Suprême qu’elle désigne. Ainsi Descartes pose-t-il ici les fondements de sa métaphysique.
Dieu devient le concept clef, central, de son système. Son existence garantit la présence et la cohésion du monde dont il est le subtil créateur. Lors donc ne nous reste-t-il qu’à nous rendre « maître et possesseur de la nature » pour accéder à la compréhension de la totalité qui s’offre à nous. La philosophie englobe à elle seule l’ensemble des sciences, c’est pourquoi elle devient essentielle. Pour illustrer sa pensée, Descartes la présente comme un arbre dont « les racines sont la métaphysique, le tronc est la physique, et les branches qui sortent de ce tronc sont toutes les autres sciences qui se réduisent à trois principales, à savoir la médecine, la mécanique et la morale[2] ».
A cette vision purement scientifique, Descartes articule sa conception de la sagesse et de la morale.
Transhumanisme et désir d’éternité !
Le transhumanisme s’appuie sur un ensemble de techniques et de réflexions susceptibles d’améliorer les capacités humaines, qu’elles soient physiques ou mentales, via un usage avancé des technosciences : nanotechnologies, biotechnologies, I.A en vue idéalement de permettre l’abolition de la vieillesse, des maladies et de la mort .
Qu’il s’agisse de rendre la vue à une personne non voyante, de faire marcher un homme paralysé avec des prothèses perfectionnées ou un exosquelette, de stimuler le cerveau pour lutter contre la maladie de Parkinson, la technique, les sciences et la médecine s’associent afin d’améliorer les conditions de l’Homme.
[1] Caractère achevé de l’ensemble du système de compréhension.
[2] Lettre – préface des Principes de la philosophie.
Descartes, précurseur du transhumanisme ?
Ce qui n’est pas seulement à désirer pour l’invention d’une infinité d’artifices, qui feraient qu’on jouirait, sans aucune peine, des fruits de la terre et de toutes les commodités qui s’y trouvent, mais principalement aussi pour la conservation de la santé, laquelle est sans doute le premier bien et le fondement de tous les autres biens de cette vie ; car même l’esprit dépend si fort du tempérament, et de la disposition des organes du corps que, s’il est possible de trouver quelque moyen qui rende communément les hommes plus sages et plus habiles qu’ils n’ont été jusques ici, je crois que c’est dans la médecine qu’on doit le chercher. Il est vrai que celle qui est maintenant en usage, contient peu de choses dont l’utilité soit si remarquable ; mais sans que j’aie aucun dessein de la mépriser, je m’assure qu’il n’y a personne, même de ceux qui en font profession qui n’avoue que tout ce qu’on y sait n’est presque rien, à comparaison de ce qui reste à savoir, et qu’on pourrait exempter d’une infinité de maladies, tant du corps que de l’esprit, et même aussi peut-être de l’affaiblissement de la vieillesse, si on avait assez de connaissance de leurs causes, et de tous les remèdes dont la nature nous a pourvus.
Discours de la méthode, VI.
Le corps est-il une machine ?
Tous les mouvements que nous faisons sans que notre volonté y contribue (comme il arrive souvent que nous respirons, que nous marchons, que nous mangeons, et enfin que nous faisons toutes les actions qui nous sont communes avec les bêtes) ne dépendent que de la conformation de nos membres et du cours que les esprits excités par la chaleur du cœur, suivent naturellement dans le cerveau, dans les nerfs et dans les muscles, en même façon que le mouvement d’une montre est produit par la seule force de son ressort et la figure de ses roues.
Descartes, Les Passions de l’Âme, article 16.
L’union de l’âme et du corps
La nature m’enseigne aussi par ces sentiments de douleur, de faim, de soif, etc, que je ne suis pas seulement logé dans mon corps, ainsi qu’un pilote en son navire, mais, outre cela, que je lui suis conjoint très étroitement et tellement confondu et mêlé, que je compose comme un seul tout avec lui. Car, si cela n’était, lorsque mon corps est blessé, je ne sentirais pas pour cela de la douleur, moi qui ne suis qu’une chose qui pense, mais j’apercevrais cette blessure par le seul entendement, comme un pilote aperçoit par la vue si quelque chose se rompt dans son vaisseau.
Descartes, Méditations Métaphysiques, VI.
La fin de la vision aristotélicienne de l’âme et du corps.
« Je désire que vous considériez, après cela, […] que toutes les fonctions que j’ai attribuées à cette machine, comme la digestion des viandes, le battement du cœur et des artères, la nourriture et la croissance des membres, la respiration, la veille et le sommeil ; la réception de la lumière, des sons, des odeurs, des goûts, de la chaleur et de telles autres qualités, dans les organes des sens extérieurs ; l’impression de leurs idées dans l’organe du sens commun et de l’imagination, la rétention ou l’empreinte de ces idées dans la mémoire, les mouvements intérieurs des appétits et des passions […] je désire, dis-je, que vous considériez que ces fonctions suivent toutes naturellement en cette machine, de la seule disposition de ses organes, ni plus ni moins que font les mouvements d’une horloge, ou autre automate, de celle de ses contrepoids et de ses roues ; en sorte qu’il ne faut point à leur occasion concevoir en elle aucune autre âme végétative, ni sensitive, ni aucun autre principe de mouvement et de vie, que son sang et ses esprits, agités par la chaleur du feu qui brûle continuellement dans son cœur, et qui n’est point d’autre nature que tous les feux qui sont dans les corps inanimés.
Descartes, Traité de l’Homme.
Epistémologie….
Pour aller plus loin !
« L’expérience de la fragilité peut provoquer des phases d’effondrement, forme d’expériences limites qui nous font découvrir un nouvel espace dans lequel nous ne savons plus qui nous sommes et qui pourtant ouvre à une extériorité à travers laquelle nous pouvons grandir. Dans cette expérience, nos limites ne sont pas seulement l’objet d’un travail pour les repousser. Ce sont elles qui nous travaillent et ouvrent un espace créateur. Combien de fois ai-je vu des personnes découvrir dans ces « espaces limites » un nouvel élan pour aimer leurs proches avec lesquels elles avaient pourtant bien eu bien des déboires ! Certains découvrent aussi dans ces épreuves une relation à l’infini qui les habite, à un Dieu qui les rejoint jusque-là. Il ne s’agit pas pour autant de faire l’apologie de l’épreuve, certainement pas. Mais de constater qu’elle peut ouvrir un nouvel espace de créativité qui fait grandir l’homme, expérience dont se prive celui qui nie les limites humaines ou veut s’en affranchir. Nous le savons, l’homme a toujours cherché à transgresser les limites et à entrer dans une sorte de tentation prométhéenne, parfois alimentée par le pouvoir que lui donnent les sciences et technologies.
Thierry Magnin, Penser l’humain au temps de l’homme augmenté, ED. Albin Michel, p. 85.
Depuis quelques décennies, l’idée selon laquelle l’homme serait en chemin vers un autre type d’humanité se répand. Il s’agirait d’une rupture avec tout ce qui a été connu jusqu’ici. A n’en pas douter les enjeux sont tels qu’ils requièrent notre réflexion, d’autant que si le propre de l’homme est de subir les évolutions, il est aussi de chercher à se transformer sans cesse. D’ailleurs, il y a longtemps que la médecine à ouvert la voie en délaissant le principe d’Aristote, qui propose que la nature assure sa propre remise en état et que toute intervention humaine doit respecter des limites naturelles. Désormais, avec des moyens toujours plus sophistiqués et puissants, des médicaments aux prothèses, des greffes au implants, la médecine intervient et modifie à tel point l’état naturel qu’il faut s’interroger sur son rôle dans le mouvement transhumaniste, qui prône l’apparition d’un homme augmenté. La médecine en est-elle l’alibi ?